Cette œuvre est un hommage au curé Antoine Labelle, Roi du nord, prêtre missionnaire-colonisateur. Figure incontournable de l’histoire des Laurentides, le «gros curé de 333 livres» a fortement imprégné son époque, et la nôtre par résonance. Prêtre-entrepreneur, il était l’homme d’une seule idée, ou d’une idée fixe, diraient ses contemporains: la colonisation. L’analyse du corpus des nombreux écrits et correspondances du célèbre curé de Saint-Jérôme laisse entrevoir ses visées nationalistes, bien que cet aspect de son projet de colonisation soit généralement passé sous silence par ses biographes. Certains textes, moins connus, ne laissent planer aucun doute quant à son intention de créer une nation canadienne-française par le truchement d’un projet pacifiste de colonisation des Cantons du Nord dans le cadre social agriculturiste d’une époque où le «destin» du Canadien français était de cultiver la terre: « Le travail de la terre était considéré comme le plus noble et le plus sain et le plus en harmonie avec la vision de l’homme prônée par l’Église. En vivant à la campagne, il était plus facile de conserver intactes les traditions, de faire survivre la nation. Le clergé fera tout pour que le peuple canadien-français conserve cette image de peuple du terroir, paisible, attaché à la famille et soucieux de garder sa foi et sa langue.» (Lafortune p.21).
Né le 24 novembre 1833 à Sainte-Rose (l’île Jésus, aujourd’hui Laval) et décédé le 4 janvier 1891 à Québec, Antoine Labelle sera curé de Saint-Jérôme de 1868 à 1891. Durant cette période, il ne cessera d’œuvrer, avec une rare ténacité, à la réalisation de son projet de colonisation. Curé panaché et marginal, réputé pour ses colères volcaniques aussi retentissantes que fugaces, il avait la stature d’un géant qui appelait sa mère «Mouman». Un curé «dépareillé » qui aimait et défendait «ses colons» avec qui il aimait partager les vicissitudes de la vie à la dure. Un ecclésiastique qui s’est lié d’une profonde amitié à l’anticléricale féroce, journaliste et pamphlétaire Arthur Buies, qui a enrichi et diffusé par ses écrits le rêve d’Antoine Labelle.
Le curé Labelle est décédé à la suite des complications d’une «hernie étranglée» le 4 janvier 1891 à Québec à l’âge de 58 ans. Il aura laissé un héritage riche qui, selon l’artiste, est encore aujourd’hui sous-estimé.
Dans son œuvre, Dominique Beauregard brosse une scène symboliquement riche, coiffée d’un titre qui reprend le leitmotiv du curé Labelle : Emparons-nous du sol! L’ours, roi de la forêt, est entouré de ses colons incarnés par des renards, futés, astucieux et dégourdis. Le curé tient sous le bras ses cartes qui symbolisent l’homme de terrain, ses nombreux voyages d’exploration effectués dans «son Nord» et les plans des nombreux villages qu’il a contribué à établir. La fleur de Lys est l’emblème du patriotisme. Dans sa main, la brochure La colonisation dans la vallée d’Ottawa, rédigée en 1880 (l’artiste a reproduit la couverture de l’ouvrage à partir d’un exemplaire original de l’époque qui fait parti de sa collection privée de livres anciens portant sur le curé Labelle et l’histoire des Laurentides). Les grands pins blancs, quant à eux, évoquent les Laurentides. Les montagnes dessinent la barrière physique et psychologique que représentaient à l’époque les collines laurentiennes : «À cinq ou six milles de l’église commençait la forêt, une forêt épaisse, infinie, regardée comme inaccessible. On croyait avoir atteint la limite des terres cultivables et le nom de «Nord» signifiait qu’il n’y avait plus au-delà de Saint-Jérôme qu’un printemps fugitif, qu’un été illusoire.»
— Arthur Buies, Au portique des Laurentides.